À l’occasion de l’exposition “Chantal Akerman – Travelling” qui se tient au musée du Jeu de paume jusqu’au 19 janvier 2025 et dont ARTE est partenaire, de la ressortie en salles de seize de ses longs métrages restaurés et d’un coffret Blu-ray réunissant la quasi-totalité de son oeuvre polymorphe, ARTE consacre un cycle à la cinéaste belge avant-gardiste, qui a mis fin à ses jours en 2015.
Frondeuse et féministe, expérimentale et intimiste…
L’œuvre de Chantal Akerman, cinéaste essentielle de la modernité européenne apparue après la Nouvelle Vague, a nourri l’imaginaire et la pensée de plusieurs générations d’artistes et de spectateurs dans le monde. Dans ses films, elle traite des relations mère-fille, de la vie des femmes, de l’homosexualité et de l’identité féminines. Sa relation au judaïsme traverse toute sa filmographie. Entre fiction et documentaire, son travail se caractérise par sa radicalité et sa puissance formelle souvent implacable et hypnotique, mais elle aime aussi se confronter à la comédie et au romanesque (Golden Eighties, Un divan à New York, ses adaptions de Proust et Conrad). Parmi ses meilleurs films, on retient plusieurs titres en rupture avec la dramaturgie et la composition classiques, présentés lors du cycle sur ARTE.
Sur ARTE Mercredi 27 novembre à 20h55
surarte.tvet YouTube ARTE Cinéma jusqu’au 24 février
Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles
(Belgique, 1975, 3h13) avec Delphine Seyrig.
Veuve et mère d’un adolescent, une femme au foyer se livre, dans son appartement, à des tâches ménagères ritualisées, et reçoit des messieurs en fin d’après-midi. Mais la mécanique quotidienne au rythme de métronome peu à peu se dérègle… À 25 ans, Chantal Akerman signe un chef-d’œuvre féministe et avant-gardiste d’une audace folle. Le plus célèbre long métrage de la cinéaste belge. Ce film sur l’aliénation jouera un rôle déterminant dans le travail de Gus Van Sant, Todd Haynes et Michael Haneke, de leur propre aveu. Sa mise en scène déployée sur plus de trois heures procure une sensation de temps réel.
Surarte.tvet sur YouTube ARTE Cinéma du 27 novembre 2024 au 26 avril 2025
Je, tu, il, elle
(Belgique, France, 1974, 1h22) avec Chantal Akerman, Claire Wauthion, Niels Arestup.
Premier long métrage de Chantal Akerman, Je, tu, il, elle est un essai fictionnel en noir et blanc tourné en 1974 et distribué deux ans plus tard en France. La cinéaste se met en scène et aborde le désir homosexuel avec une frontalité inédite, et beaucoup d’audace. Akerman, qui a séjourné deux ans à New York, se montre influencée par le cinéma underground américain, et plus particulièrement les films expérimentaux d’Andy Warhol. Sa mise en scène fait preuve d’un grand dépouillement et privilégie les plans-séquence. Je, tu, il, elle est constitué de trois tableaux qui saisissent une jeune femme dans ses hésitations sentimentales, entre adolescence et âge adulte. La partie centrale, un moment d’errance avec un camionneur avant de retrouver la femme aimée, révèle Niels Arestrup. La séquence finale enregistre une étreinte amoureuse d’une manière qui permet de dire qu’Akerman redéfinit dans ce film la notion d’intimité au cinéma.
Les Rendez-vous d’Anna
(Belgique, France, RFA, 1978, 2h02) avec Aurore Clément, Helmut Griem, Magali Noël, Jean-Pierre Cassel.
Anna est cinéaste, elle parcourt l’Europe pour présenter son nouveau film. Au fil de ses voyages, elle fait une succession de rencontres et de retrouvailles qui forme le portrait dédramatisé d’une jeune femme en quête d’équilibre.
Golden Eighties
(France, Belgique, Suisse, 1986, 1h36) avec Delphine Seyrig, Myriam Boyer, Lio, Charles Denner, Fanny Cottençon.
Dans une galerie marchande, les employés et les clients se croisent, se rencontrent et rêvent d’amours, amours compromis, épistolaires ou impossibles. Ils en parlent, le chantent et le dansent, ponctué par les chœurs des shampouineuses.
La Captive
(Belgique, France, 2000, 1h59) d’après La Prisonnière de Marcel Proust
avec Sylvie Testud, Stanislas Merhar, Olivia Bonamy.
La Captive de Chantal Akerman est l’histoire d’un homme amoureux fou d’une femme qui lui échappe. La rencontre avec l’œuvre de Proust permet à la cinéaste de revenir sur des thèmes qui la passionne : l’homosexualité, la question juive, – et leur mise en perspective par Proust autour de la discrimination, la honte, la dissimulation – et surtout le rapport à l’Autre. Simon est un personnage à la fois obsessionnel et romantique, qui cherche à percer le mystère de sa fiancée Ariane et lui faire avouer son attirance pour les filles. La Captive est un grand film sur l’altérité, un film opaque et mental qui introduit un trouble tenace chez le spectateur. Akerman montre que l’amour n’est pas seulement physique. Les deux amants inventent un dispositif érotique où ils trouvent leur compte, en jouissant tous les deux de façon presque déconnectée. Simon rejoint le narrateur proustien mais aussi les personnages névrotiques des films de Buñuel, Hitchcock et Kubrick (troublants points de rencontres avec Eyes Wide Shut, sorti à quelques mois de distance).
La Folie Almayer
(Belgique, France, 2011, 2h07) avec Stanislas Merhar, Aurora Marion, Marc Barbé.
Après La Captive, Chantal Akerman renoue avec l’adaptation cinématographique et livre une lecture personnelle du premier roman de Joseph Conrad, publié en 1895. L’histoire de La Folie Almayer est celle, tragique, d’un homme qui se consume d’amour pour sa fille, une superbe jeune femme dont le métissage l’incite à fuir l’éducation occidentale qui l’attend dans un pensionnat. La folie du titre est une maison de villégiature au bord d’un fleuve, entourée par la jungle cambodgienne, dans laquelle le père ressasse son obsession, sa solitude et son désespoir. Inscrit dans un horizon colonial mortifère, le film questionne les notions d’altérité et d’identité, mais aussi les rapports filiaux, qui irriguent l’œuvre d’Akerman. Elle y invente des dispositifs formels et temporels qui, associés à la matière romanesque de Conrad, instaurent une langueur hypnotique. Ce voyage asiatique à la fois sensoriel et mental vient rappeler tout ce que l’artiste plasticien Apichatpong Weerasethakul doit à la modernité du cinéma de Chantal Akerman.